Projets menés avec les étudiants de Licence 3 « Design, Arts, Médias », dirigés par Erwan Kerdreux
« La construction c’est fait pour tenir, l’architecture, pour émouvoir »
Le Corbusier
Il s’agit de s’inspirer de cette définition de l’espace architectural par Le Corbusier pour s’interroger sur la nature propre de la conception d’espaces. Pourquoi concevoir un espace ?
L’espace n’apparaît, n’advient, que lorsqu’il y a un corps pour le pratiquer. Le corps humain comme origine et mesure de l’espace.
Il s’agissait de concevoir un espace, c’est-à-dire un «vide» accueillant nos déplacements. L’espace sera pensé comme substance dont la mise en forme serait le fait de nos déplacements.
Créer un espace c’est créer un dispositif pour le corps humain. Il a de valeur plastique que dans la mesure où il parle à la sensibilité. Ce qui fait qu’un espace est qualifié et devient architectural, c’est sa façon de s’adresser au corps de celui qui contemple ou plutôt qui pratique l’espace.
A partir d’un type d’impression sensible s’exprimant dans la spatialité, l’étudiant conçoit un dispositif spatial qui entre en résonance avec cet état du corps.
MARIE HABASQUE
TRYPOPHOBIE
TRYPOPHOBIE
J’ai articulé mon projet autour de références clés, leur point commun était une répétition de modules sphériques percés. Visuellement, ceci me donnait une sensation singulière : de l’attirance mais aussi de la réticence, une sorte de malaise. La trypophobie est cette sensation étrange produite à la vue de répétitions de trous, elle nous touche tous à différente échelle. D’ailleurs, elle est aujourd’hui considérée comme une réelle phobie qui touche sérieusement environ 18% de la population mondiale. Il ne s’agit pas d’une « phobie » au sens d’une « peur », mais plutôt d’une sensation désagréable qui s’apparente au dégout, à un certain malaise. Selon une étude anglaise, elle trouverait son origine dans un réflexe de survie que l’Homme aurait gardé ancré dans ses structures nerveuses. Auparavant, la peau des animaux dangereux possédait un effet de motifs circulaires, ainsi, leur vue provoque un effet de fuite. (…) De son origine animale, ma proposition conservera l’aspect organique. Il s’agit d’un espace tubulaire de 20m de long composé de deux cylindres creux, de 10cm d’épaisseur chacun. Le plus large a un diamètre de 2,60m, le moins large 2,20m. Une étroite passerelle, au coeur du petit cylindre, permet de se déplacer. Les parois des cylindres sont percées de trous plus ou moins larges et espacés. L’espace est un parcours sensoriel : l’utilisateur ressentirait cette sensation de malaise, d’une part due à l’esthétique des trous, de l’autre aux proportions de l’espace. En effet, entre la passerelle et les parois du cylindre, la hauteur de l’espace propice aux déplacements ne mesurerait que 2m. J’ai décidé d’animer le cylindre extérieur, Selon les mouvements des utilisateurs, il effectuerait des mouvements rotatifs. Ces interactions de l’Homme sur l’espace font écho à ma volonté de réaliser un espace organique. De plus, il s’agirait d’avoir sa propre vision de l’espace : selon les mouvements des utilisateurs, et donc les rotations du cylindre et de l’intensité de la lumière, l’espace ne sera jamais équivalent. C’est une perpétuelle métamorphose.
ASLY EMEK
NON-LIEU
NON-LIEU
J’ai choisi le sentiment de “non-lieu” parce que les questions de l’urbanisation et la surmodernité attirent mon attention. Ce n’est pas juste une question du lieu et de l’espace, mais aussi une question anthropologique depuis la modernité. Je ne suis pas française et je viens d’une culture très différente. Je suis venue en France très récemment. Étant une étrangère et seule dans une grande ville comme Paris, j’ai commencé à réfléchir plus sur l’identité, la solitude et surtout sur les espaces et les lieux. On passe tous les jours dans ces espaces anonymes qui accueillent chaque jour des individus plus nombreux.
Les non-lieux, ce sont aussi bien les installations nécessaires à la circulation accélérée des personnes et des biens (voies rapides, échangeurs, gares, aéroports). Mais également les supermarchés ou encore, différemment les camps de transit prolongé où sont parqués les réfugiés de la planète. Le non-lieu est donc tout le contraire d’une demeure, d’une résidence, d’un lieu au sens commun du terme. Dans ces non-lieux, on ne conquiert son anonymat qu’en fournissant la preuve de son identité – passeport, carte de crédit ou tout autre permis qui en autorise l’accès. Attentif à l’usage des mots, relisant les lieux décrits par Chateaubriand, Baudelaire, ou les “passages” parisiens de Walter Benjamin, on remarque que l’on peut se croiser à un carrefour alors que l’échangeur interdit toute rencontre. Si le voyageur flâne en chemin ou s’égare sur une route de traverse, le passager qui prend le TGV ou l’avion est déterminé par sa destination. Aujourd’hui les repères de l’identité et le statut de l’histoire changent en même temps que l’organisation de l’espace terrestre. Pour la réalisation de mon projet, j’ai choisi les guichets d’autoroutes parce qu’ils représentent très bien la notion de non-lieu. Ces sont des espaces du transit où on utilise souvent notre carte bancaire ou notre carte automatique pour payer. Avant, il y avait des personnes dans ces guichets pour nous donner le ticket ; mais maintenant ils ont laissé leurs places aux machines automatiques et il n’y a plus personne dans ces cabines qui ont été dessinées pour les humains. Dans les maquettes que j’ai faites, j’ai considéré la taille d’un homme comme la base pour les échelles. Pour les cabines, j’ai utilisé la couleur orange parce que c’est une couleur universelle qu’on utilise pour attirer l’attention et dans un objectif signalétique. A l’aide de plans réalisés dans un matériau brillant et réflectif, j’ai essayé de multiplier ces non-lieux. Cela pointe la multiplication insignifiante des non-lieux qui sont identiques partout dans le monde. La présence d’une bande-son comprenant les fréquences des radios en différentes langues symbolise les troubles de l’identité, de la solitude qui viennent avec les temps modernes.
BAPTISTE BENTIVOGLIO
AGREABLE SURPRISE
AGREABLE SURPRISE
Mes recherches m’ont amené à m’intéresser à la relation entre un premier plan en surface et un second en sous-sol. Deux espaces qui évoluent indépendamment jusqu’à qu’une connexion soit créée. Depuis cette connexion entre surface et sous-sol a évolué pour aboutir sur une structure qui vient physiquement relier les deux niveaux et qui offre la possibilité à l’usager de pratiquer cet espace afin notamment de passer d’un niveau à l’autre.
Cette disposition permet de faire évoluer dans le temps et l’espace le sentiment généré à travers le mouvement du corps. L’expérience en est enrichie.
ARCHITECTURE DE L’ESPACE /
Le projet se présente comme un mille-feuille serré de 44 plaques translucides espacées de 17cm, sur une hauteur 7,5m, et une surface au sol de 100m•. Les plaques sont reliées entre elles par une structure en escalier, faisant penser à des contremarches, et du même matériau translucide. La première plaque depuis le sol «flotte» à 17cm de hauteur. Un dispositif est là pour assurer La stabilité de l’ensemble. Un escalier, praticable par les usagers, apparaît suite à la découpe des plaques par un motif (cube) successivement décalée le long de la pente de l’escalier. Ainsi sont placés côte à côte le vrai escalier (sans contremarches et qui disparaît visuellement dans la structure) et le faux escalier (la structure reliant les plaques) dont la pente est inversée par rapport au premier.
L’EFFET DE SURPRISE /
Le sentiment généré par le projet est progressif. Il passe d’abord par l’intérêt grandissant chez celui qui pratique l’espace : au fur et à mesure qu’il approche de la structure depuis le sous-sol. De loin, il envisage l’ensemble comme un parallélépipède rectangle plein en raison de la proximité des plaques entre elles. Mais la lumière qui traverse l’ensemble depuis la surface doit interroger sur la nature exacte du volume. Peut-être peut-il déjà observer un mouvement dans la structure, des masses informes suivant une pente du sous-sol à la surface et faisant varier l’ambiance lumineuse de l’ensemble. En se rapprochant le volume semble aller en s’allégeant. L’observateur identifie la disposition en couche et peut même voir au-delà du volume puisque rien n’arrête son regard entre deux plaques. À part ces contremarches qui semblent former un escalier et définir la fonction de la construction.
Le sentiment de surprise intervient déjà lorsque l’observateur se rapproche du volume : on passe d’une masse imposante à un millefeuille léger et flottant, semblant défier les lois de la physique. Mais l’apogée de la surprise intervient quand l’analyse de l’espace faite par l’usager se confronte à son intuition : Il voit maintenant clairement des gens évoluer vers la surface, au sein même du volume mais dans le sens inverse de ce qu’il pensait être l’escalier. C’est en faisant le tour de l’édifice qu’il se rendra compte que ce qu’il prenait pour être l’escalier est en réalité la structure reliant les plaques et que cette impression de voir flotter des gens dans le volume est due à la disposition particulière du véritable escalier : formé par la découpe des plaques, il disparaît dans la tranche de ces feuilles. Pour se révéler uniquement lorsqu’on l’appréhende de face. Maintenant au pied de l’édifice, prêt à monter l’escalier, il se surprend à constater que l’édifice ne repose pas au sol. De là où il est, il ne voit pas clairement le dispositif de câbles qui relient chaque plaque entre elles, placés aux angles du carré. Sentiment étrange que de poser le pied sur la première marche de verre. Elle flotte. Va-t-elle bouger ? Il n’y a pas de rambarde, pas de contremarche. Et l’aspect translucide des plaques donne à voir l’espace situé en-dessous des marches. L’usager ressent comme un vertige. À son tour il semble s’envoler vers le ciel où la lumière prend sa source, prisonnier dans l’édifice. Arrivé au niveau supérieur, tout redevient normal. Le volume ne dépassant pas du sol. Pour un usager venant de la surface, il verrait d’abord s’étendre cette grande plaque de verre délimitant l’édifice. Pour lui la surprise viendrait d’abord à travers la descente de l’escalier et de sa découverte progressive de l’espace inférieur (invisible depuis la surface à cause du nombre important des plaques).